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  • : Monique Oblin-Goalou
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26 décembre 2010 7 26 /12 /décembre /2010 19:06

Ciels de l'agneauPeut-on vivre sans engagements politiques et religieux ? Une personne peut-elle vivre et agir en revendiquant de ne pas faire de politique ? Peut-on nier la dimension politique de la religion dans la mesure où les politiciens ont un pouvoir législatif ? Quels liens entre la religion, la morale et le pouvoir législatif ? La religion doit-elle reconnaître les différentes tendances politiques ou condamner certaines formes politiques ? La religion doit-elle reconnaître une liberté politique pour ses membres engagés ou imposer un parti ?

Peut-on respecter l’autre, exercer une profession en ayant des engagements politiques ?

La laïcité, doit-elle imposer un engagement politique unique, une religion unique, ou liés à la fonction ?

Quels liens entre l’image et le pouvoir ? Doit-on condamner l’image qui impose ses concepts, ses formes, sans passer par la raison, mais par les émotions, l’image mentale, les associations d’idées, la fantaisie, le divertissement?

Ces questions ont un point commun le pouvoir.

Sans vouloir trouver de solutions, il peut-être intéressant de réfléchir au cas limite de certains artistes, écrivains, intellectuels soumis à la pression politique, religieuse de leur entourage soucieux des possibilités qu’ils se sont données dans le groupe social. L’objet n’est pas ici « l’intellectuel », mais d’observer le pouvoir dans les relations humaines et les réactions qu’il suscite ?

La peur du pouvoir, la peur de l’image, Camille et Paul Claudel en sont les archétypes. Paul Claudel ne voit-il pas le génie de Camille ? Le pouvoir de l’image, la puissance de l’image gênent-ils  Paul Claudel ? La puissance des œuvres de Camille, La tête d’enfant La petite châtelaine, le groupe suppliant de l’âge mûr, les causeuses, la valse, et d’autres encore constituent une concurrence qui  aurait pu facilement se dominer. Il n’y aura pas de collaboration entre ces deux grands esprits. Cet échec rend la lecture de l’œuvre de Paul Claudel extrêmement douloureuse. Les relations entre les frères Van Gogh ont permis des merveilles, mêmes si elles restent orageuses. Que dire des frères Goncourt et des sœurs Brontë, le couple Jean Paul Sartre et Simone de Beauvoir ?

Ces exemples montrent que les relations sororales et fraternelles sont à encourager et travailler. Elles existent aussi dans les couples. La nécessité de surmonter ses angoisses, de revenir sur un premier geste ou une première pensée maladroits s’acquière dans la prise de conscience d’une tendance à écarter l’autre. La différence, la puissance de l’autre sont des espaces à apprivoiser. « Prendre l’individuation et la réalisation de son Soi pour de l’égoïsme est un malentendu tout à fait commun ; car les esprits font en général trop peu de différence entre l’individualisme et l’individuation. L’individualisme accentue à dessein et met en relief la prétendue particularité de l’individu, en opposition aux égards et aux devoirs en faveur de la collectivité. L’individuation, au contraire, est synonyme d’un accomplissement meilleur et plus complet des taches collectives d’un être, une prise en considération suffisante de ses particularités permettant d’attendre de lui qu’il soit dans l’édifice social une pierre mieux appropriée et mieux insérée que si ces mêmes particularités demeuraient négligées ou opprimées »[1]. Entre l’individualisme et l’individuation, il existe une dimension d’initiation qui n’existe pas dans le premier terme. « La pensée d’un « chosisme psychique » n’a rien d’une découverte nouvelle ; c’est même une des conquêtes les plus précoces et les plus répandues de l’humanité : on crut à un monde d’esprits existant réellement (« Magique » n’est à ce niveau qu’un autre terme pour exprimer la dimension du psychisme) »[2]. C. G. Jung distingue, chez l’homme, l’imago des parents et celle de la femme qui détrône celle des parents. « […] la femme avec sa psychologie si différente de celle de l’homme, est pour lui une source d’informations sur des chapitres à propos desquels l’homme n’a ni regard ni discernement »[3]. Cette citation est réductrice de l’œuvre de Carl Gustav Jung car elle n’est pas encore assez claire sur l’indépendance de certains plis de l’âme par rapport à la sexualité. Mais, Elle montre que l’imago a un grand pouvoir dans la conception de Jung. L’influence du frère ou  d’un ami du même âge, avec les mêmes préoccupations permet de dépasser aussi « les imagines des parents »[4]. L’idéal n’est pas de prendre les reflets de l’autre mais, dans l’autre, de saisir la richesse de nos capacités mentales ainsi que les lumières du partage. Le partage n’est pas un renoncement à soi. Il n’est pas de retirer à l’un pour donner à l’autre. Comme la lumière, le bonheur, la sagesse, la connaissance augmentent s’ils sont diffusés. Cette question est un des objets du début du Parménide.

« Le propre de chaque visage humain est de se composer d’un nez, deux yeux etc., mais ces facteurs universels sont variables, et dans cette diversité réside ce qui détermine les particularités individuelles… accomplira simplement sa nature d’être ».[5] Allons plus loin : la connaissance de soi passe non seulement par la connaissance des variables, mais aussi par l’observation des objets universels des choses du psychisme.

Reprenons une des plus belles sources de la psychanalyse, Avicenne. Ibn Sinha et les sages soufis atteignent une connaissance de l’esprit humain au travers du souci de l’herméneutique des textes. Les soufis écrivent pour favoriser l’initiation de l’âme aux lumières de la sagesse. Par une grande connaissance de l’intellect, ils donnent aux autres l’indépendance spirituelle. Celle-ci  s’acquière progressivement.

« Le symbole n’est pas un signe artificiellement construit ; il éclot spontanément dans l’âme pour énoncer quelque chose qui ne peut pas être exprimé autrement ; il est l’unique expression du symbolisé comme d’une réalité qui devient ainsi transparente à l’âme, mais qui en elle-même transcende toute expression. »[6]

« La réduction du même au même est l’œuvre poursuivie en général par les commentaires très rationnels de ces Récits, mais elle est inattentive à la transmutation dont la conséquence est qu’au lieu de chercher un secret dans ou sous le texte, il faut considérer ce texte lui-même comme le secret »[7].

La véritable fraternité s’inscrit dans le respect de la féminité et de la paternité, la capacité à l’action et à la contemplation, ou la réflexion de chacun. L’âme pensante, gnostique autant que pratique de chacun apparaît dans le récit d’Hayy Ibn Yaqzân, Absâl et Salâmân[8]. Les couples merveilleux sont l’image de la concordance et du respect des multiplicités de l’âme. Ils ont en eux la conscience de l’unité de l’autre et la délicatesse de respecter la simplicité de leurs multiplicités.

Paul Claudel oppose les mots : « Le vide en tout être, c’est le chemin mystique, c’est le tao, c’est l’âme, c’est la tendance, c’est l’aspiration mesurée, à quoi le vase donne sa forme la plus parfaite, réalisant la thèse d’Aristote que l’âme est la forme du corps »[9]. Ce vase là est plein des couleurs criardes de l’affaire commerciale. « Il ya le bleu du ciel, il y a le rose qui est l’aurore, il y a le rouge qui est le sang, il y a le vert qui est le printemps ». Le style de Paul Claudel est celui des platitudes de salon, et des commentaires rapides et mesquins. Son style se voile dans la fumée légère du brûle parfum pour décrire les paysages de Li kung ling et mourir sur la musicalité de leurs harmonies. « …ainsi par exemple ces garnitures, dites des cinq pièces, là-bas, qui sont celles des autels familiaux. L’attitude puissante et ramassée du brûle-parfum qui semble se cramponner à la terre pour mieux en offrir au ciel la combustion dans les nuages d’une fumée essentielle est faite pour contraster avec le pur élan de cette paire qui de chaque côté du brasier rivalise de silence et de son, et que j’appelle les préposés à l’Ode, les acolytes du sacrifice, les musiciens qui flanquent l’holocauste, ces deux bouches en même temps ouvertes et impuissantes à se fermer »[10].

La lecture de L’annonce faite à Marie de Paul Claudel est un récit d’initiation. Mais, Paul Claudel en avait-il conscience ? Savait-il qu’il parlait de son âme dans les personnages de Mara et Violaine ? Pourquoi rejette-t-il son âme sur sa sœur Camille dont il déteste le suppliant de L’âge mûr ? Il ne pouvait supporter en image sa féminité qu’il confondait avec sa sœur. La pauvreté de sa sœur, il la détestait comme il détestait en lui-même la fragilité. Il retrouvait en elle son pli féminin, fragile, humble, rêveur devant la mise en œuvre. Cette sœur délaissée, abandonnée ressemble à Violaine. Violaine est aussi mystérieuse que Job. Elle réalise l’alchimie du mystère de la pauvreté, du rêve avant de se confronter à la réalité. Cette œuvre trop romantique n’a pas su vivre l’initiation de l’âme, la prise de conscience du mendiant présent en chacun. Paul Claudel ne voulait voir en sa sœur que l’initiatrice, la séminante, celle qui l’instruisait. A aucun moment, il ne renonce à cette muse, cette imago puissante, qui lui insufflait la vie et qu’inconsciemment il superposait à sa sœur, à la vierge, et peut-être la Vierge. Il oublie cette sœur devenue mendiante.

Cette erreur romantique se dépasse dans la conscience que l’initiation de l’âme passe par la connaissance des autres. Ce mouvement revient à soi pour ensuite se retourner encore vers les autres, leur tendre les bras pour les sortir de la grotte.

Paul Claudel parle des personnages de l’âme sans se soucier de la sienne et de celle de sa sœur. Il n’accepte pas la beauté de l’animus et de l’anima de Camille. Et pourtant, c’est dans la fragilité de Camille que Dieu se dévoile. Dans le visage soucieux de l’enfance tendue vers l’âge adulte, dans la valse ou le bonheur de la tendresse de l’ordre cosmique de la nature, dans le suppliant adulte qui cherche à dépasser l’ordre de la grotte étoilée, autant d’instants de la vie, autant de plis se rejouent en chacun. Dans le mur qui submerge Les causeuses, le dépassement du cosmos naturel ne semble pouvoir se faire. Et les trois personnages insouciants de l’esprit de Camille sombrent dans La vague. La femme est méprisée dans son animus, exclue pour différence, reléguée dans un coin à ses causeries mesquines. "Ma sœur Camille, Implorante, humiliée à genoux, cette superbe, cette orgueilleuse, et savez-vous ce qui s'arrache à elle, en ce moment même, sous vos yeux, c'est son âme"[11].

Les étoiles, leurs mouvements harmonieux incitent à la prière ou, à l’inverse, sont l’expression de l’Anti-divin et dispensent alors une terreur panique.

« Au lieu d’apparaître comme suprême expression de la divinité, la régularité du cosmos, c’est-à-dire l’inéluctable nécessité dominée par le cours des planètes, deviendra une expression de l’Anti-divin. Au lieu que les planètes concentrent vers elles l’élan de la piété, elles dispenseront une terreur panique. […] La catastrophe peut-être perçue comme plus ou moins radicale, selon que l’on passe du mythe mazdéen au mythe de la Gnose valentinienne ou manichéenne, pour aboutir, par exemple, au « drame dans le Ciel » de la Gnose ismaélienne »[12]. L’être est plus que la nécessité naturelle, le rôle social, l’organe du corps. Il est un ordre autre. Il ne s’agit pas de refuser les règles collectives[13] au contraire il s’agit de les accomplir dans un cosmos plus large, avec de nouvelles  possibilités.

« Le drame dans le ciel » se retrouve en psychologie. Il est décrit ici par Henry Corbin comme dépassement des connaissances et règles du groupe. Les structures du groupe tremblent quand l’âme et la conscience s’éveillent au monde. Alors commence la démarche difficile de donner. Les conventions se refermeront sur Camille mendiante de la reconnaissance du puissant animus féminin.

« Il y a synchronisme entre l’éveil de l’âme à soi-même et la visualisation de son Guide. Celui-ci est la figure-archétype de nos Récits visionnaires ou Récits d’initiation »[14]. Le guide permet le Retour de l’âme « gnostique » éveillée, dans la grotte étoilée pour y chercher ceux qui s’y tiennent enchaînés. Ce Retour est le récit d’initiation. Le guide est dans le docétisme, l’homme parfait, le double dans lequel l’âme s’incarne. Il est un pli de l’âme, un objet psychique que l’on associe dans les récits à la jeune fille, la vierge, à l’ange. La prise de conscience et l’acceptation de  la part spirituelle présente en l’âme implique une nécessité morale.

Le don est l’effacement devant l’autre. La connaissance ou gnose est la connaissance de l’autre qui permet d’accéder à la connaissance de soi. Le récit d’initiation intervient comme retour à soi-même depuis le regard amoureux sur l’autre, la découverte de soi, de son guide. Ce mouvement de l’âme est individuel mais il instruit l’âme collective.

Cette présence dépasse Hallâj qui devient plus grand que les architectures des hommes et des villes. « Puis il se mit à grossir au point qu’il obstruait la rue, puis à rapetisser, au point d’être comme un enfant petit. »[15] Sa crainte et son espérance sont l’ombre et la lumière des pulsations du cœur amoureux de Dieu pour sa créature. Hallâj montre son humanité, le pli de l’enfant petit quand Dieu l’a quitté. Dans le pli de l’enfance, de l’innocence, Dieu peut se faire présent. Quand Dieu quitte Hallaj, il reste la fragilité de l’enfance et de l’innocence.

Est-ce que la richesse de Paul Claudel le rend aveugle aux multiplicités de l’âme de sa sœur ?

N’est-on pas ici devant l’énigme du jeune homme riche ? Essayons de commenter l’évangile de Saint Matthieu (19, 24). « Quoi pourtant de plus lumineux que la parole de l’évangile ? Il saute aux yeux des plus myopes que  » faire passer un chameau par le trou d’une aiguille » est l’équivalent oriental de « prendre la lune avec ses dents », ou de quelque image analogue dont l’énorme absurdité tend à exagérer l’impossible »[16]. Cette citation est tirée du Journal d’André Gide. André Gide y voit une situation impossible, absurde. Cette image, à mon sens, n’est pas absurde. Elle serait relativiste de l’usage de moyens différents suivant l’ordre dans lequel on opère, les dents, le chameau sans rapport avec la lune ou le chas d’une aiguille. Faire passer un chameau par le chas d'une aiguille est l’expression qui qualifiait le jeune homme riche. La finesse de cette image mentale est judicieusement rapprochée du monde cosmique par André Gide. Le jeune homme riche est aussi Juda Iscariote.  Juda était le plus instruit de tous les apôtres. Il entretenait des relations avec les institutions. Il était riche de ses liens avec le corps social de l’état juif souffrant de l’occupation. Il n’a pas laissé son chameau, utile en campagne, à l’entrée[17] de la Jérusalem céleste pour aller s’enrichir encore en vendant ses biens acquis dans d’autres contrées. C’est-a-dire que Juda n’est pas entré à pied dans la ville sainte. Il n’a pas utilisé les bons moyens, les bonnes mesures, pour entrer dans le temple de Dieu.

« Gaspard, Melchior et le troisième offrent les présents qu’ils ont apportés.
Et nous, regardons avec eux Jésus-Christ, en ce jour, qui nous est triplement manifesté. […] Au moyen de mille voitures et de deux cent quatre-vingts chameaux à la file,
qui sans aucune exception ont passé par le trou d’une aiguille !
 »[18]

Les rois mages étaient savants initiés. Ils savaient lire dans les étoiles, dans l’ordre cosmique des âmes les signes de la présence spirituelle au monde. Ils connaissaient l’alchimie, la psychologie de l’âme, réservée à l’éducation des princes pour le respect de leurs sujets et la grandeur spirituelle de leur royaume. Ils savaient composer des prières et se tenir humblement devant Dieu. Ils ont vu l’étoile dont il sortirait un ciel. Soucieux du nouvel ordre cosmique, ils sont venus s’incliner devant l’Enfant. Le cosmos physique des étoiles, des sciences mathématiques, a rejoint les ordres psychologiques-alchimiques et spirituels dans un signe merveilleux. Les ordres multiples de la connaissance se sont réunis en un seul signe. Alors les rois sont venus s’incliner devant l’enfant Dieu qui faisait de l’homme le temple de Dieu.

Les rites d’initiation d’Afrique[19] ou d’Amérique[20], le masque, les danses dans les cérémonies d’initiation où les différents plis de l’âme peuvent exprimer la pluralité des imagos. Les masques, les personnes multiples jouées dans les danses des rites d’initiation, sont la prise de conscience des plis de l’âme. La ressemblance du masque avec le visage est le reflet d’une unité intérieure, la conscience. L’exposition Persona[21], du musée de Tervuren près de Bruxelles, était centrée sur le thème de l’identité : un masque peut cacher ou révéler des «identités ». Dans le cas du masque traditionnel, le porteur se transforme en une autre personne, en divinité, en esprit, parfois même en animal. Cette exposition avait pour objet l’identité, le respect de soi et l’image de l’Autre.

Revenons encore à Paul Claudel :

« Ces traits, il les découvre dans un portrait de famille : image du père ou de la mère, de l’adulte tout-puissant, tendre ou terrible, bienfaisant ou punisseur, image du frère enfant rival , reflet de soi ou compagnon. »[22]

On ne peut pas reprocher à Paul Claudel son manque d’analyse psychologique de sa sœur, mais il a confondu une de ses « imagos » personnelles avec elle. Il a exercé sa puissance sur sa sœur. Paul Claudel et ses contemporains rejettent l’animus féminin. Mais plus grave encore, ils projettent leur anima sur la femme, la réduisant à la rêverie et se réservant le « prosaïsme de la vie »[23]. Paul Claudel vivait les imagos de son anima et de son animus, la poétique de la rêverie et le prosaïsme de la vie. Il méprisait l’anima et le projetait sur la femme. Gustave Flaubert décrit dans Salammbô une sensualité orientale qui torture l’imago masculine autant que Paul Claudel torture Violaine, son imago féminine. Après son procès au sujet de Madame Bovary, Gustave Flaubert, dans Salammbô, devient mendiant de la reconnaissance de sa puissante anima masculine.

Confondre son imago avec une personne de son entourage réduit l’identité de cette personne à être une composante de la personnalité d’une autre. La jeune fille réduite à l’imago de l’âme, la projection des âmes sur les jeunes filles sont un viol.

Cette violence, cette souffrance de l’âme, Gilles Deleuze les            a décrites[24]. Mais l’âme réflexive en sort indemne. L’accident, la violence, la méchanceté ne l’emportent pas sur un désir réflexif. Le stoïcisme de G. Deleuze, dans le premier chapitre de Logique du sens, montre que l’emprisonnement, les menaces, l’exil, la manipulation n’ont pas découragé les plus grandes âmes réflexives.

Le stoïcisme de G. Deleuze a cet avantage de tenir compte de l’enthousiasme, l’étonnement et l’amour, la pureté, la naïveté.

« Le visage intensif est comme l’image, en lui des séries peuvent converger »[25]. Le visage intensif est puissance et s’impose. Le visage réflexif est comme l’icône. Il est toujours identique et proche du schème. Les enluminures orientales ont des visages composés de quelques traits simples à peine suggestifs. « Le visage réflexif est toujours identique quand la pensée qui l’accompagne est éternelle »[26].

La pureté, la naïveté, l’enthousiasme posent la question du plaisir.

« Le cas se produit sans cesse où, soit à partir de ces pulsions, soit dans le moi lui-même, le principe de plaisir déborde irrésistiblement le principe de réalité au détriment de l’ensemble de l’organisme. »[27]

« Nous savons en effet que le principe de plaisir convient à un mode de travail primaire de l’appareil psychique et qu’en ce qui concerne l’auto-affirmation de l’organisme soumis aux difficultés du monde extérieur, il est d’emblée inutilisable et même extrêmement dangereux. »[28]

Au-delà de cette perversion dans la difficulté de s’affirmer[29], essayons de retrouver la naïveté. La beauté du monde, la beauté de l’âme qui brille dans les autres, ne donne-t-elle pas le désir du ciel ? L’âme se laisse progressivement illuminer par la lumière, un peu comme la Lune qui, au cours du mois, s’éclaire de plus en plus pour finalement s’orienter totalement vers le soleil et éclairer la nuit de la terre.

Le plaisir dans la naïveté n’est pas à rejeter. L’amour courtois est aussi la découverte de l’amour pour en chercher de plus grandes. Les fiançailles sont la rencontre de l’autre pour le plaisir sensible et simple d’être avec sa jeune compagne. Ce plaisir est ensuite intellectuel, puis spirituel. La beauté attire et c’est Dieu, dans l’âme de l’autre, que l’on trouve. La beauté et la pureté de la jeune fille attirent et indiquent les directions du progrès de l’âme. Ne suscitent-elles pas, dans la littérature courtoise, les batailles symboliques et inutiles de l’âme pour tenter d’atteindre la perfection. La beauté, présente en la femme, a donné une faim de l’âme à Perceval[30]. Dans l’Autre, il a trouvé son âme. Perceval ne s’arrête pas à la jeune fille qui a déployé les plis spirituels de son âme. Il continue seul, libre vers Dieu.

De là vient l’importance du symbolisme comme témoin entre deux ciels. Dans le domaine de la psychologie, Jacques Lacan travaille à partir de l’image et donne au principe de réalité un rôle pivot dans l’expression humaine. Il confirme l’intuition freudienne et l’affirme dans l’importance de la constellation sociale de l’enfance et de l’image. « Nous manifestons du même coup l’usage génial qu’il a su faire de la notion de l’image. Que si, sous le nom d’imago, il ne l’a pas pleinement dégagée de l’état confus de l’intuition commune, c’est pour user magistralement de sa pensée concrète, concevant tout de sa fonction informatrice dans l’intuition, dans la mémoire et dans le développement. Cette fonction, il l’a démontrée en découvrant dans l’expérience le procès de l’identification : bien différent de celui de l’imitation que distingue sa forme d’approximation partielle et tâtonnante, l’identification s’y oppose non seulement comme l’assimilation globale d’une structure, mais comme l’assimilation virtuelle du développement qu’implique cette structure à l’état encore indifférencié »[31].

Ces quelques lignes veulent montrer que le pouvoir ne peut s’exercer sans le souci du respect de l’autre, des plis multiples de son âme. A quand cette prise de conscience des richesses à apprivoiser dans nos relations ?

La présence est enrichissante. Elle n’est pas favorable à l’imitation,  mais identification selon Freud et Lacan. Ce jeu de mot veut montrer l’importance de la formation d’une imago différente des constellations sociales de l’enfance dans la répétition. Des images à l’imago, l’unité de la personne se réalise.

La formation de l’imago passe par des stades éventuels de jalousie. Un mauvais passage du stade du miroir peut conduire à des régressions jalouses tout au long de la vie. La formation de l’imago de la personne permet de dépasser le principe de réalités sexuelle et familiale, d’entrer dans une réalité sociale.

En cette veille de l’épiphanie qui marque le début de l’année 2011, je me suis permis de vendre mes richesses à d’autres ciels pour que, dans l’amour, aucun pli de l’humanité ne soit négligé.

 

 



[1] C.G. Jung, Dialectique du moi et de l’inconscient, Paris : Gallimard, folio essai, p. 116.

[2] Ibid, p. 137.

[3] Ibid, p. 144.

[4] Ibid, p. 143.

[5] Ibid, p. 117.

[6]Henry Corbin, Avicenne et le récit visionnaire, Verdier, 1999, pp. 43-44.

[7] Henry Corbin, Avicenne et le récit visionnaire, Verdier, 1999, p. 47.

[8] Henry Corbin, Avicenne et le récit visionnaire, Verdier, 1999, p. 253 et suivantes. Le récit du docteur qui honorait toutes les causes est parvenu jusqu’à maintenant par des copistes qui en ont transmis des résumés. L’original ayant disparu du temps d’Avicenne dans le sac d’Ispahan (importante ville d’Iran, ancienne capitale).

[9] Paul Claudel, L’œil écoute, Paris : Gallimard, 1946, p. 106.

[10] Paul Claudel, L’œil écoute, Paris : Gallimard, 1946, p. 108.

[11] Paul Claudel cité in http://www.musee-orsay.fr

[12] Henry Corbin, Avicenne et le récit visionnaire, Paris : Verdier 1999, p. 29.

[13] Il me semble que la vérité est tronquée quand Henry Corbin écrit : « L’élément prométhéen obéit à l’âme individuelle, jamais ne s’incline devant une règle collective ». Avicenne et le récit visionnaire, Paris : Verdier 1999, p. 31.

[14] Henry Corbin, Avicenne et le récit visionnaire, Paris : Verdier 1999, p. 31.

[15] Louis Massignon, La Guerre Sainte suprême de l’islam arabe, Fata Morgana, 1998, p.30.

[17] Une des interprétations de cette image mentale est que le chas de l’aiguille serait une porte de Jérusalem où les commerçants laissaient leurs chameaux avant d’entrer dans la cité pour vendre leurs denrées.

[18] Paul Claudel, En ce petit matin de l’an tout neuf, cité in : http://gabriellaroma.unblog.frtag/avis/.

[19] Angola figures du pouvoir, Musée Dapper, Paris, 10 11 2010 au 10 07 2011.

[20] Claude Lévi-Strauss, La voie des masques, Paris : Plon 1979.

[21] Exposition Persona, Musée Royal de l’Afrique Centrale de Tervuren, 24 avril 2009 au 3 janvier 2010.

[22] Jacques Lacan, Ecrits I, Paris : Seuil, 1966, p. 84.

[23] Gaston Bachelard, La poétique d la rêverie, PUF, 1960, 49.

[24] Gilles Deleuze, Cinéma I, L’image mouvement, Les éditions de minuit, 1983, p. 128.

[25] Monique Oblin-Goalou, Le rhizome sous l’arbre, Lilles : ANRT, p. 588.

[26] Ibid.

[27] S. Freud. Essais de psychanalyse, Editions Payot, 1981, p. 46.

[28] Ibid, p. 46.

[29] Je désire, par ces lignes, faire une critique de la Présentation de Sacher Masoch par Gilles Deleuze, Paris : Ed. de Minuit, 1967. Gilles Deleuze voit l’inspiration à la création dans le plaisir retardé, l’attente, la suspension, la beauté inaccessible. En cela, il rejoint Baudelaire pour qui la beauté est un rêve de pierre. Je ne conteste pas cela. Mais il est une autre voie que l’on ne peut oublier, celle de l’attirance de la beauté et du plaisir qu’elle procure. Le respect de l’autre ouvre les voies à des terres plus spirituelles. Les corps invisibles de l’intelligence et du spirituel se dévoilent dans certains renoncements, retournements.  « Puisque vous n’avez pas un regard assez pur pour voir ma beauté sans intermédiaires et sans accompagnement, je vous la montre au moyen de formes et de voiles. Car votre perception de ce qui ne peut être qualifié passe par la forme ; vous ne pouvez voir ce qui est sans alliage. Donc ma beauté est alliée à la forme, afin d’être à la mesure de votre capacité de vision. » Sultân Valad fils du célèbre Rûmî cité in François Cheng, Cinq méditations sur la beauté, Albin Michel, 2006, p. 110-111.

[30] Chrétien de Troyes. Le conte du Graal, Paris : Les éditions Champion, 1983. Le message de l’amour courtois et de la progression spirituelle nous intéresse. (L’appel à la guerre de ce texte ne nous concerne pas ici. Il est certainement un rajout ultérieur au travail de l’auteur.)

[31] Jacques Lacan, Ecrits I, Paris : Editions du Seuil, 1966, p. 87-88.

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