LES CHEMINS DE SIMONNE LOAËC ROUMEUR
L’IMAGE POSITIVE
Conférence donnée par Monique
Oblin-Goalou le 30 avril 2010 à 12h30
Bibliothèque 1001 pages, Place de
la reine à Bruxelles (Schaerbeek)
Nota: les oeuvres auxquelles il est fait référence dans cette conférence sont reproduites dans un dossier de "mes images".
Je remercie la bibliothèque 1001 Pages, représentée par
Monsieur Dessicy, et le musée d’art spontané, dont la responsable est Madame Catherine Schmitz, d’avoir organisé avec moi cette exposition qui réunit 88 œuvres de Simonne Loaëc
Roumeur.
En 17 ans, Simonne Roumeur a peint plus de 537 tableaux et
écrit de nombreuses poésies. Grâce à ses tableaux l’âme n’est plus réservée qu’aux initiés. La mère, l’enfant, le père, ses ancêtres se transforment dans ses pensées en personnages mythiques qui s’associent aux plis de l’âme. Son travail, la
façon dont son âme s’est construite au travers de sa famille, son milieu culturel et religieux, ses enfants, sa maladie, ce microcosme terrestre est retourné dans une prise de conscience pour la
liberté de dépasser sa maladie et de vivre. Sa peinture témoigne de son bonheur de vivre tout simplement.
Œuvre
253 : NOURRITURE REGENERATRICE - MATIERE PRIMORDIALE
L’œuvre de Simonne permet une meilleure connaissance de la
relation entre la conscience et l’inconscient.
Simonne a commencé ses premiers tableaux au crayon puis, elle
ajoute des couleurs à l’aquarelle ou aux crayons de couleur. Finalement, elle peint à l’acrylique sur carton toilé. Elle ne commence pas par un fond. Elle dessine au crayon puis remplit chaque
espace de couleurs.
Je propose une
réflexion en 5 parties :
A. L’œuvre de Simonne Roumeur est une alchimie.
B. L’unité intérieur et avec les autres est toujours à refaire.
C. Les acteurs de la famille et les images de la nature, l’imaginal et l’iconal
D. Quels lien entre l’image peinte, le texte et ses rêves?
E. Nous aborderons enfin le thème de la femme dans l’œuvre de Simonne Roumeur. (Simonne décrivait tous les jours ses rêves par écrit. Il existe donc de grandes
quantités d’écrits. André a choisi quelques textes en rapport n° 264 Princesse messagère et La Femme n°137).
Simonne est née à Bohars, le 12 août 1939. Sa vie est engagée
entre ses enfants, le travail, des associations de travailleuses familiales. Elle participe à la vie du Relecq Kerhuon, petite ville du Finistère en Bretagne (France) comme élue
municipale. En 1990, sa vie bascule suite à une intoxication par des produits chimiques. Son sommeil devient rare. En 1994, après une désintoxication éprouvante, Simonne se réorganise progressivement grâce à la peinture et à l’écriture. Les médecins lui font faire des recherches généalogiques et elle débute l’écriture automatique. Mais son écriture automatique se manifeste, pas seulement
par des poésies, mais également par des dessins. La recherche généalogique lui fait redécouvrir le rôle et les contradictions des
familles. Il y avait blocage dans la désintoxication. Grâce aux recherches généalogiques, Simonne Roumeur a pu reprendre le traitement en
connaissance de tous les éléments. Elle commence alors à rêver. Les rêves envahissent ses nuits. Et pour reprendre possession de sa
maison, elle écrit et elle peint. André Roumeur, son mari, la soutient.
A. L’œuvre de Simonne Roumeur est une alchimie ; elle est l’origine d’un retour à la vie
C. G. Jung, dans Racines de la conscience, p. 537,
écrit: « L alchimie a perdu sa substance vitale propre au moment où une partie des alchimistes a émigrés du « laboratoire » dans l’ « oratoire » et une autre, du
second dans le premier, les uns pour s’égarer dans un mysticisme de plus en plus vague, les autres pour découvrir la chimie (…) et personne ne s’inquiète du destin de
l’âme… »
Simonne désirait que son travail puisse servir à d’autres
pour une meilleure connaissance des rapports de l’inconscient et du conscient. L’inconscient, comme inconnu, fait peur. Quand des images viennent directement de l’inconscient, elles sont
inquiétantes. Simonne expose et écrit pour montrer que les images peuvent être apprivoisées.
Pour renforcer son âme, elle passe
à chaque fois par plusieurs étapes.
-
Première étape :
Se réserver des forces
Au départ, la vie est
simplifiée pour mieux réserver les forces pour lutter contre la maladie et la tristesse.
Œuvre : LE TAS DE BOURRIER
Le tas de bourrier n’est pas à
mélanger avec le tas de fumier qu’il y a au fond du jardin potager. Le tas de bourrier se trouve au fond du jardin et se compose de tous les objets qui n’ont plus d’utilité, tout ce qui
encombre.
La première démarche est de
laisser de côté les incitations extérieures qui rendent la vie compliquée, (portable, TV, voiture…)
Tas de bourrier l’illustre, faire le
vide en soi pour réunir son énergie.
-
Deuxième étape : Pour réunir son énergie
Œuvre 427 : ROI DE LA NATURE, 05 mai 2004
Simonne Roumeur s’intéresse à
la sagesse de Carlos Castanéda (péruvien né en 1925, mort en 1998) qui s’inspire de la mystique indienne américaine. Contrairement à Simonne Roumeur, C. Castanéda est élitiste, la connaissance n’est accessible qu’à certains élus. Simonne Roumeur n’utilise pas de drogues, comme Carlos Castanéda. Elle se soigne pour vivre
et son art sert, au départ, à surmonter les désorganisations de sa personnalité, issues de la maladie et des effets indésirables des soins.
Cependant, Carlos Castanéda
l’intéresse pour ses recherches d’énergie. Pour lui, les fibres lumineuses constitutives de l’univers émanent d’une source unique: « l’Aigle ». On retrouve cette mystique indienne dans
des feuilletons bien connus comme MacGyver. Ce thème est repris de façon poétique dans Avatar.
« Mon esprit vidé de
peurs viscérales J’ai ticket-bonus pour ma Vie Délivrés par le roi de la Nature Pour que
vivante ma création perdure. Mésange bleue porte le message au grand
Sage Voguons sereine et joyeusement Sur la route des troubadours Dispensateurs d’Amour. »
-
Troisième étape : Le retournement du corps et des sentiments et affections
Œuvre 100 : ARBRE DE VIE
FLEURI, 18 août
1996, la sortie de l’esclavage
L’oiseau représenté est un
pélican, selon André, mais quelqu’un m’a fait remarquer que ce n’était peut-être pas un pélican mais un autre oiseau que je ne connais pas et qui fait un peu peur. Cet animal est l’image
agissante de l’inquiétude qu’il est nécessaire de surmonter devant ce qui n’est pas familier.
S. Roumeur commence son œuvre
avec la vie de ses anciens, c’est-à-dire ses ancêtres puisqu’elle fait un arbre généalogique. Dans Arbre de
vie fleuri, au pied de l’arbre, on voit le crocodile, l’éléphant… Ce sont les anciens, ceux qui ralentissent le retournement.
L’épée est l’instrument du
retournement du sensible et des sentiments vers le spirituel. L’image mentale de l’épée dans l’Apocalypse, dans Roméo et Juliette de Shakespeare (Roméo respecte celle qu’il aime et place son épée
entre eux), dans la mort de Jésus, est l’instrument de la justice, de la résurrection, du retournement. L’épée donne la vie (sang). L’œuf, l’œil sont la connaissance. Le serpent est dans le caducée, la médecine. Au désert, il délivre le peuple juif des fièvres du désert. Le poison est vaincu par le poison. Grâce à la médecine, S. Roumeur fait l’unité de son esprit et de son corps. Et surtout, son esprit domine son corps car la médecine soulage le corps. Donc, tout
commence avec le corps mais tout finit dans l’amour en passant par le retournement des sentiments. Dans le renoncement au cœur, comme pour le corps, les sentiments ne sont pas détruits mais
purifiés.
L’arbre de sa vie peut donner
des fleurs.
Elle remet son corps en état,
elle remet ses sentiments en état pour qu’ils soient transparents. Le serpent est à rapprocher de l’ouroboros, le serpent qui se mord
la queue. Cette image est un archétype de la pensée humaine pour exprimer le cycle de l’individualité dans le tout. L’arbre de vie Fleuri correspond à une image mentale que l’on doit à Zosime de
Panopolis vers 300 après J.C.
-
Quatrième étape : Le vide de l’âme des mauvaises pensées, jalousie, désespoir, inquiétude, regard des
autres…
Œuvre 288 : BASILIC, 09 août 2000
Comme nous l’avons vu dans
Arbre de vie fleuri, il est nécessaire de dépasser ses sentiments. C. G. Jung, dans Les racines de la conscience,
réfléchit sur les visions de Zosime (pp. 192,193n-195). Il y décrit les archétypes de la pensée qui s’expriment de façon simple dans l’œuvre 288 : BASILIC. Le meurtre du dragon est un emblème de la Chimie au Moyen Age. Ainsi la parole, le logos, est l’épée de la mise à mort. Une mort, comme dans le cycle de l’Ouroboros, permet une résurrection. Comme dans le Ion de Platon, on assiste à la mort de l’orateur pour une résurrection.
L’ouroboros représente
l’inconscient qui, comme le dragon (le lézard), aime à se tenir caché dans les failles des murs, les lieux ténébreux. L’inconscient doit être sacrifié, purifié, pour posséder la connaissance
consciente. Le héros tue le dragon et l’issue est marquée par un levé de soleil. (inspiré de C. G. Jung Les racines de la conscience, Buchet/Chastel, 1971, p.
201.)
« Spectre
terrifiant
Il met en charpie mon
enfant.
Ma pensée, serions-nous
vouées
A ne jamais nous
exprimer?
Porté par l’audace, mon
regard,
Du bleu du ciel perce le
noir
Et débusque dans un
déclic
Un monstre
basilic.
Squatter de mon
inconscient
Il annihile la personnalité de
mon Enfant.
Vide de pourriture ses
entrailles
Ne sont plus l’obstacle aux
merveilles. »
S. Roumeur a peint un monstre
basilic et du basilic.
Simonne aime les jeux de mots,
les rébus. En perçant le « monstre basilic », elle remet à sa place la paternité de son entourage pour trouver la sienne. Le
dragon est aussi le corps qui fait obstruction par ses défaillances à la pensée. Son esprit reprend chaque jour possession de son corps. Il y a le tas de fumier et le basilic. S. Roumeur garde le basilic. Le dragon ne meurt pas, il se libère de ce qu’il contient de pourri.
« Vide de pourriture ses
entrailles
Ne sont plus obstacle aux
merveilles.
Leur énergie donne
vigueur
Aux plantes en
fleurs. »
Dans la poésie, on parle du saurien. En réalité sauriens s’écrit avec un s et est un nom masculin pluriel. Il vient de « saura » ou « sauros », en grec
lézard. Il représente l’ordre des reptiles autant serpents que lézards. Par association et ressemblance des mots « saura » peut se rapprocher de « ça se saura » et exprime
l’inquiétude à dépasser.
-
Cinquième étape :
Image de la renaissance
Œuvre 261 : SOLEIL DU PREMIER MATIN, 14 octobre 1999
Après les différentes étapes
du cycle de l’initiation, l’âme s’éveille.
Les deux cubes d’énergie sont
peut-être les deux étapes précédentes:
- Le retournement
du corps ;
- La purification
de l’âme, mauvaises pensées, jalousies, désespoir, peur du regard des autres…
André Roumeur, puis l’un de
ses fils m’ont dit plusieurs fois que cette image correspondait à l’un des épisodes les plus sombres de la vie de leur maman et de leur famille.
A chaque fois que Simonne
Roumeur peint ou compose des poèmes, elle reprend toutes les étapes, sans omettre aucun ciel, ni celui de corps, ni celui de l’affection familiale. Ici, le contraste est particulièrement marqué
entre l’ombre de la vie ancienne et la lumière de l’éveil.
Je
remercie la famille de Simonne d’avoir rendues accessibles ces richesses.
- Sixième
étape : L’énergie retrouvée
Œuvre 369 : ENERGIE SOLAIRE, 5 novembre 2002
Le monde est transfiguré une
fois l’œuf ouvert et que l’on a accès au jaune, image de la lumière.
« L’œuf fécond de mon
univers
Reflète l’énergie
solaire.
L’œil de mon
cœur
Illumine ma pensée
intérieure. »
Il
y a proximité d’identité entre l’Ouroboros et l’œuf, il correspond au « liquide splendide » (expression reprise dans les racines de la conscience de C. G. Jung), le jaune au monde
physique, microcosme ou monade.
B. L’initiation et la relation aux autres est toujours à recommencer,
l’Ouroboros
« L’œuf fécond de mon
univers Reflète l’énergie solaire. L’œil de mon cœur Illumine ma pensée intérieure. Le patriarche de ma maison Pourvoit à mes
connections. »
En alchimie, l'ouroboros est un sceau
purificateur. Il symbolise en effet l'éternelle unité de toutes choses, incarnant le cycle de la vie (naissance) et la mort. On doit à Zosime de Panopolis, le premier grand alchimiste
gréco-égyptien (vers 300) la fameuse formule :
« Un [est] le Tout, par lui le Tout
et vers lui [retourne] le Tout ; et si l'Un ne contient pas le Tout, le Tout n'est rien (Ἓν τὸ πᾶν καὶ δι' αὐτοῦ τὸ πᾶν καὶ εἰς αὐτὸ τὸ πᾶν καὶ εἰ μὴ ἒχοι τὸ πᾶν οὐδέν ἐστιν τὸ
πᾶν). »
Tout ce développement un peu
compliqué veut dire que le travail sur son âme est toujours à refaire. Chez Simonne Roumeur cela est net. Les figures du travail sur son âme se répètent 537 fois.
J’ai choisi Ame de la Pierre et Tête à l’envers pour montrer que son travail vise aussi à
changer le monde et son entourage.
(Le chimiste August Kekulé a toujours
affirmé que c'est un anneau en forme d'ouroboros qui a inspiré sa découverte de la structure du benzène, modèle qui lui aurait été inspiré par la vision onirique d'un Ouroboros. D'où son
exhortation célèbre à ses collègues : « pour comprendre, apprenons à rêver! »).
Œuvre 476 : AME DE PIERRE
(C. G. Jung, p. 199) Le dragon
s’enfante lui-même.
La tête est le siège de la
conscience. Le dragon est la montagne d’où émerge la tête.
Comment dominer son
inconscient? Le bus, en bas, est l’image du « train social », mot de Simonne rappelé et répété par André Roumeur. Simonne
Roumeur est consciente du rôle que son œuvre peut jouer pour le groupe social, pour le progrès spirituel de tous.
« Comment rester
insensible A la détresse ostensible? Pour laver les pleurs Des vies mitées de douleur L’âme de la
pierre Lève sa colère,
Dresse le phallus de la roche Pour vivifier ce qui cloche Et donner virilité A l’être en perte de stabilité.
Ma pensée se met à l’ouvrage Pour que se réalise le sauvetage »
Œuvre 508 : TETE A L’ ENVERS, 07 juin
2006
(Les racines de la conscience, pp. 150, 202). L’arbre est croissance spirituelle et retournement. Comme l’orchidée, S. Roumeur trouve sa nourriture dans le
monde spirituel.
L’arbre renversé est un
archétype de la pensée. C. G. Jung, dans Les Racines de la conscience, y consacre un chapitre : L’arbre renversé.
Le petit esprit que l’on voit
au col de l’arbre est l’enfant qui va peindre l’arbre à sa manière. L’arbre généalogique de sa famille a un reflet vivant et feuillu, la vie de Simonne et ses expressions poétique et
artistique.
Tête à l’envers est le retournement des images
mentales.
Œuvre 14 : MON COQ, 26 octobre 1994
Ce coq fait partie des
premières écritures automatiques. En regardant bien le coq ont voit qu’il se compose de formes, au premier regard invisibles. Dans le cou du coq se trouvent les enfants de Simonne Roumeur. André
Roumeur, le mari de S. Roumeur, le décrit ainsi en fonction de leurs conversations.
Ce tableau est proche de
Tête à l’envers. Mais à mon sens les choses sont inversées. La vie domine les souffrances de ceux qui sont morts. Simonne a voulu que les méandres de
l’esprit ne soient plus mystérieux afin que ses enfants sachent que leurs angoisses sont communes à tous les hommes. Simonne est fière de ses enfants, elle leur a donné la vie et la vie
spirituelle, l’indépendance d’esprit.
Les images qui viennent à la
conscience, dans l’angoisse, se ressemblent d’une personne à l’autre. L’adolescence est marquée par l’inquiétude de l’intégration dans le groupe social, la première prise de conscience du monde
qui nous entoure et de ses imperfections… Toutes ces fragilités ont été répertoriées par Carl Gustav Jung, comme un enfant qui collectionne des insectes sans trop de discernement : L’arbre,
l’arbre renversé, le serpent, le prince, l’épée, la pierre…
A
ma connaissance, Simonne Roumeur n’avait pas lu C. G. Jung. Mais elle utilise le venin de ses peurs pour les retourner. La forme que prennent ses angoisses est l’origine de leur apparition dans
la conscience. Ces images origines sont riches de double sens. Comme elles naissent d’une angoisse, on y trouve une face d’ombre et une face de lumière.